Cinquante ans de mariage…Par Chantal LECLERC
Jules et Yvonne fêtent leur cinquante ans de mariage !
Ils ont réuni toute la famille autour d’eux.
Ils ont chacun soixante quinze ans : certes ils sont âgés.
Leurs enfants sont venus de partout…
Adrien, de Limoges, avec sa femme et ses trois enfants.
Antoine, de Bordeaux, avec sa femme Nicole.
Amélie de Reims, avec son mari Bruno et leurs jumeaux.
Anne Marie, de Grenoble avec son copain Paul et le bébé…
Tous sont heureux de se retrouver et de revoir les enfants.
On parle, on discute, on rient, on crie, on joue, on pleure !
C’est une belle fête de famille : bon repas, embrassades, cadeaux !
Pour quinze personnes Yvonne a cuisiné la veille.
Elle a plumé une volaille, pelé des belles pommes de terre.
En effet, les enfants adorent le poulet fermier et la purée.
Pour l’entrée, Yvonne a cueilli une laitue et y a juste mis quelques olives noires.
Pour l’apéritif, Jules avait préparé une sangria maison !
Les hommes eux ont amené des petits fours salés que les enfants s’empressent de manger…
Donc au repas, l’entrée était simple, en attendant le poulet bien découpé par Jules.
Les filles ont apporté toutes sortes de fromages de leur région.
Quant aux petits enfants; ils ont fait chacun un beau tableau naïf aidé des parents.
Les enfants se sont cotisés pour offrir aux parents une belle reproduction de RENOIR.
Le dessert, tant attendu des petits, est une spécialité de leur Mamie.
Yvonne a fait la veille un baba au rhum (très léger) et l’a garni de chantilly maison.
Elle y a planté quelques bonbons rouges dessus pour amuser les enfants.
Le goût du rhum étonne les petits enfants et les grands trouvent qu’il n’y en a pas assez !
Bref…Quelle joie de se revoir tous…C’est si rare d’avoir les mêmes vacances.
Un bon café est préparé par l’aîné des petits enfants et amené cérémonieusement par sa sœur, ce qui fait rire tout le monde…
En effet ils ont ressorti le service à café en porcelaine des années cinquante qui ne sert qu’aux « grandes occasions ».
Yvonne craignait que la petite renverse le plateau, mais au contraire, elle pose délicatement les tasses.
Tout ce petit monde cherche à bien faire et à contenter les grands parents…qu’ils adorent.
Jules sait intéresser les petits avec une feuille de papier et des crayons de couleurs.
Il sait aussi leur raconter des petits contes qu’il invente au fur et à mesure.
Yvonne, initie les petites au tricot, ou aux mots croisés simples.
L’après midi passe vite, trop vite…Il faut reprendre le train ou l’auto pour le travail du lendemain…
Vers dix neuf heures, chacun reprend le train ou la voiture et la maison se vide brusquement…
Jules et Yvonne débarrassent la table et rangent la vaisselle, puis vont se coucher fatigués.
Cinquante ans de mariage ! Des NOCES D’OR…
- Mon Dieu que c’est loin cette date, ce mariage, se dit Yvonne.
- Dire que j‘étais si jeune, nous terminions nos études, je faisais des études de secrétariat, dire que j’avais une robe d’organdi pour mon mariage. Je ne savais rien de la vie, j’étais timide, effacée, assez jolie, mince et brune…Jules était ingénieur et travaillait dans une petite Industrie. C’était un garçon brillant. Très sportif et sérieux. Au début, la vie était difficile pour nous deux, étudiants…Puis, ce fut la belle vie avec quatre enfants : deux garçons et deux filles.
Cinquante ans de mariage : Yvonne n’arrive pas à dormir, elle s’amuse à faire le bilan de ces années…
Combien de fois, elle a regardé en arrière…depuis qu’ils sont à la retraite.
Jules dort et ronfle comme d’habitude…Cela ne la dérange pas, elle doit aussi ronfler !
Jadis, ils ne s’endormaient jamais sans parler un peu, en se tenant la main tendrement.
Maintenant, ils ne se montrent guère leurs sentiments, et parlent peu.
Ils s’aiment certes, et surtout aiment leurs habitudes, leur train-train !
Ils mangent à heure fixe en regardant les nouvelles à la Télé.
Ensuite, ils regardent leur programme pour choisir le film du soir.
Souvent d’accord, ils choisissent un film et s’endorment avant la fin…
Hébétés et fatigués, ils se couchent après une toilette rapide !
C’est ainsi tous les jours et ce train-train n’est pas déplaisant du reste.
Mais ce soir Yvonne ne trouve pas le sommeil et la quiétude après cette journée pleine de bruit !
- Soixante quinze ans ! Dire que bientôt je vais mourir…Qu’ai-je je fait de ma vie ?
Bien sûr : j’ai élevé quatre enfants et j’ai fait le ménage, la cuisine et les courses.
J’ai reçu des gens chez moi, j’ai fait réciter les leçons des enfants, j’ai soigné les rhumes et les maladies de tous…J’ai fait des kilomètres en voiture pour emmener les enfants à leurs cours…
J’ai fait du jardinage pour avoir des légumes frais, élevé des poules pour avoir de bons œufs !
Je n’ai jamais eu de femme de ménage et j’ai toujours entretenu la maison avec soin.
C’est la vie de toutes les femmes au fond…Qu’ai-je à me plaindre ?
- Irai-je jusqu’à quatre-vingts ans ? Plus ? Serai-je handicapée, aigrie, ou un vulgaire légume ?
Quand je pense que ma copine de classe qui a mon âge est allongée pour le restant de ses jours, inconsciente ! Elle ne se souvient de rien, et ne reconnaît pas ses enfants…
- Jules et moi, avons une chance incroyable d’être en bonne santé, avec des hauts et des bas.
Malheureusement, l’amour change et fait place à une tendre amitié ou… une certaine indifférence…
On ne s’inquiète plus si monsieur est en retard ou si madame n’est pas rentrée à l’heure !
Chacun a pris ses habitudes et on vit en parallèle sans se rencontrer parfois.
On se retrouve au repas en écoutant les nouvelles du jour à la Télé.
Finies les grandes discussions de jadis sur la vie, la mort ou sur la politique !
On a plus tellement envie de parler, de discuter, on regarde Sainte Télé…
Yvonne aime cette vie en général, mais là, ce soir elle gamberge…
- J’en ai marre de faire la bonne ou la dame de compagnie.
J’ai soixante quinze ans c’est vrai, mais je suis encore bien pour mon âge !
Toujours brune …ou plutôt châtain acajou, élégante et soignée…
Jules est aussi un bel homme un peu en surpoids mais pas trop…
On dit d’eux, qu’ils forment un beau couple.
Après ces considérations philosophiques, Yvonne s’endort profondément.
Elle rêve…ou pense à ses fantasmes ? Voici ce que nous voyons de son rêve :
Yvonne a cinquante ans environ. Elle est rayonnante, avec ses cheveux bruns coupés au carré.
Un beau tailleur noir et un chemisier rose buvard avec des boutons de manchettes en or.
Grimpée sur des escarpins de vernis noirs à hauts talons, elle porte des bas très fins.
Elle est dans un musée et est guide artistique. Elle connaît parfaitement les peintres impressionnistes.
Devant une petite foule de touristes, elle explique en long et en large le tableau de COURBET, la « naissance du monde » Tout un programme…Il ne faut pas être vulgaire, et elle s’en sort très bien car beaucoup d’hommes essaient de lui poser des questions stupides…Elle passe vite aux autres tableaux plus connus…Elle est ravi d’attirer les regards masculins, elle se sent sûre d’elle. Elle parle trois langues et passe de l’une à l’autre sans difficulté.
Un homme sort du lot et lui pose des questions précises sur les impressionnistes. Il ressemble à Jules peut être : Il semble ébloui par ces tableaux, mais surtout par la guide. Elle n’est pas insensible à ce soudain intérêt. Gentiment, il lui propose pour plus tard un café à la cafétéria du coin pour parler de peinture…Elle n’est pas dupe de cette demande et accepte volontiers. Vers treize heures, elle arrive pimpante et l’homme l’attend en fumant une cigarette.
Ils engagent tout de suite la conversation sur Courbet et surtout sur Renoir…
Elle aime tellement Renoir. Elle a même essayé de refaire quelques tableaux chez elle, sans talent !
Lui, aime Utrillo et Vélasquez. Mais les impressionnistes lui plaisent aussi et il est de passage à Paris et en profite pour visiter le Musée d’Orsay.
La conversation sur les peintres est maintenant terminée et tous deux échangent des regards tendres ravis de cette brève rencontre. Au moment de se quitter, lui, décide d’emmener la guide au cinéma. Elle ne refuse pas, elle ne travaille pas l’après midi. Le film est une petite histoire d’amour adorable…Bien sûr, il lui prend la main, elle se laisse faire…Elle regarde le film heureuse, et lui semble ravi ! Il est très correct, charmant…
Brusquement, il tombe sur elle, inconscient, elle crie…
Alors, elle se réveille, son mari est contre elle et ronfle bruyamment. Il a du se retourner en dormant et le rêve est brisé…Elle essaie de s’endormir pour reprendre son rêve inachevé.
Impossible. Elle regarde son mari, elle se regarde…Elle pleure sans bruit, elle se sent triste.
- Le temps a passé si vite se dit elle…Je suis vieille, lui aussi…Notre vie est finie…Comme la vie est courte…J’ai fait beaucoup de choses, mais j’ai envie d’en faire encore tellement et je n’ai plus de force…Demain, je dois ranger mes papiers, mes tiroirs, la cave, la cuisine et je remets tout au lendemain !
Je n’ai même plus envie de voir du monde, le bruit me dérange et je deviens sourde…L’envie n’est plus au rendez vous…Souvent je me laisse aller ! Dehors je suis gaie et je bavarde facilement et chez nous, c’est le silence, nous n’avons plus rien à nous dire…La radio et la télé ont remplacé nos conversations.
Pourtant nous nous aimons toujours, mais nous ne faisons plus d’efforts pour nous séduire…C’est ainsi.
- Il est trois heures du matin et je ne dors plus !
Yvonne se lève et va à la cuisine se faire un lait chaud…Elle prend une petite casserole y verse le lait y ajoute une gousse de vanille et du sucre, un peu de rhum et remue lentement…
Elle allait s’asseoir quand elle entend Jules qui arrive. Il s’est réveillé pour délivrer sa vessie et a vu de la lumière, il vient voir ce que fait Yvonne…Alors il part d’un grand éclat de rire en la voyant assise devant sa tasse fumante.
- Imagine toi que je rêvais de toi il y a quelques années : nous étions dans une grande cafétéria et je te draguais devant un chocolat chaud….Tu parlais anglais et espagnol à des touristes ! Ensuite nous allions au cinéma et je me suis réveillé…
- Yvonne se mit à rire aux larmes : Tu ne me croiras jamais ! Assieds toi et prends une tasse…
- Moi aussi j’ai rêvé que nous nous rencontrions dans une cafétéria. Et que nous allions au cinéma…
Jules prit sa femme dans ses bras tendrement et lui murmura : demain nous irons au cinéma tous les deux comme avant ?
- Il faut aussi que nous reprenions nos grandes conversations sur la vie, la mort et la politique comme dans notre jeunesse ? Sinon nous allons devenir VIEUX !!!
- Tu sais Yvonne que je t’ai trouvée superbe ce midi avec ta jolie robe fleurie et tes boucles d’oreilles assorties ? Je n’ai pas eu un moment pour te le dire avec les petits qui m’accaparaient…
- Jules, j’ai passé une des plus belles journées de ma vie.
Tous deux sont repartis enlacés, heureux et ont dormi en rêvant sûrement de leurs belles noces d’or…
CHANTAL LECLERC
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